FRONTIÈRES DE LA LEXICOLOGIE ITALIENNE:  des unités multilexicales aux collocations

Carla Marello (2015), FRONTIÈRES DE LA LEXICOLOGIE ITALIENNE: des unités multilexicales aux collocations, in CAHIERS DE LEXICOLOGIE. – ISSN 0007-9871. – 107:2(2015), pp. 143-158

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Le mot lexicologie n’apparaît pas souvent dans les récentes études des chercheurs italiens concernant le lexique. Il a perdu sa valeur d’hyperonyme fort: celui qui fait des études d’étymologie, d’onomastique, de néologie admet faire des études de lexicologie, mais il préfère les classer sous ces termes. Les contributions italiennes les plus récentes et les plus intéressantes en matière de lexicologie sont les études consacrées aux unités multilexicales, c’est-à-dire les unités formées de plusieurs mots graphiques, et aux collocations restreintes.
La recherche lexicale à partir de corpus bien construits a mis en lumière dans les langues romanes des rapports significativement fréquents sur l’axe des combinaisons qui, auparavant, étaient passés inaperçus, sinon dans leur typologie, du moins dans leur étendue. […]

Les unités multilexicales appelées également polyrhématiques et, plus récemment, expressions multi-mots, calque de l’anglais multiwords, ou encore mots syntagmatiques, unités lexicales supérieures ou mots complexes5 sont plus problématiques à identifier dans les langues romanes qu’en anglais ou en allemand, en raison d’une série de caractéristiques morphologiques évidentes pour le lexicologue-linguiste : alors qu’en anglais ou en allemand le mot qui modifie, délimite, restreint le signifié de la tête est en position adjacente avant la tête, dans les langues romanes l’expression qui modifie vient après la tête et est souvent reliée à celle-ci par des prépositions et des articles qui la rendent très semblable à un syntagme nominal + syntagme prépositionnel. […]

Pour paraphraser Voghera, la scientifique qui est le plus souvent citée à ce propos, les polyrhématiques sont des combinaisons de mots que le parlant ressent comme un élément lexical unitaire et qui, sur une échelle qui va du mot monomorphémique à la phrase, se trouvent dans une position intermédiaire entre les composés et les syntagmes libres. Il ne s’agit pas d’un ensemble homogène, mais d’« un ensemble de formations différentes en raison de leur composition interne et du degré de liberté de mouvement manifesté par leurs éléments constitutifs » (Voghera, 2004, p. 59).
Les lexicologues n’ont pas compilé de véritables listes avec des composés d’un côté et des polyrhématiques de l’autre et on est en droit de se demander si cela serait bien utile. Quoi qu’il en soit, les lexicographes, eux, ont dû prendre des décisions, plusieurs même, si, comme nous le rappelle Voghera, le GRADIT enregistre en tant que lemme 63.000 polyrhématiques7, dont la plupart (84%) nominales. Les lexicographes ont pris des décisions de lexicographes : vu que les unités multilexicales ne sont pas des lemmes autonomes8 dans les dictionnaires italiens, les dictionnaires ne s’expriment pas sur leur éventuelle nature de composés, comme ils le font, en revanche, quand le composé est univerbé.
bassorilievo /bassori’ljɛvo/ (basˑsoˑriˑlieˑvo) s.m. TS arte [av. 1519; comp. di basso e rilievo]
scultura in rilievo in cui gli elementi emergono di poco dal piano di fondo | la tecnica per realizzare tale scultura GRADIT
Cette information est donnée dans la partie consacrée à l’étymologie, mais seuls les lemmes ont une étymologie, par conséquent les unités multilexicales non lemmes, mais des sous-lemmes dans la meilleure des hypothèses, se voient attribuées uniquement une partie du discours, à savoir locution suivie de adjectivale, nominale, verbale, etc. et, s’il s’agit d’une locution nominale, d’informations sur le genre et la morphologie du pluriel.

Rares sont les cas où la polyrhématique reçoit une étymologie : comme on le voit avec les entrées fine settimana, guerra lampo, sangue blu, ce sont les cas où les polyrhématiques constituent le calque d’une unité d’une autre langue, l’étymologie est diachronique et elle ne met pas en avant le statut de composé.

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Geoffrey
Geoffrey
1 anno fa

“Partir en retraite” est une collocation puisque la combinaison est arbitraire du fait qu’on ne part pas, on quitte simplement des fonctionnes rémunéré pour, dans certains cas, devenir émérite et donc, selon les mots, et une collocation, de l’administration française, un collaborateur bénévole, encore une collocation. Carla prendra donc sa retraite, encore une autre collocation, mais restera sûrement toujours une chercheuse de pointe.
Quel plaisir de relire ce texte par mon estimé collègue et amie de longue date Carla Marello. Le texte pose des questions très actuels sur les analyses lexicologiques et sur les applications en lexicographie. Carla n’est pas un linguiste de bureau (armchair linguistes dans la terminologie de Charles Fillmore), mais une linguiste de terrain capable de comprendre et de manier les considérations théoriques et les applications pratiques. Sa réputation dépasse l’Italie puisque ses écrits sont avisés et pertinente pour la lexicographie partout dans le monde. En tant qu’ancienne présidente d’EURALEX, elle est connue, admirée et aimée par la communauté des lexicologues et lexicographes du monde entiers.
La collocation est un phénomène fascinant en lexicologie et en lexicologie, En lexicologie, c’est un problème qui est apparue dès qu’on a accepté de ne plus traiter des mots en isolation. Décrit par le linguiste britannique John Rupert Firth, et révélé dans toute sa puissance par l’inventeur de la linguistique de corpus, le linguiste John Sinclair, le phénomène reste impossible à définir une fois pout tout, bien que beaucoup ont essayé. En lexicographie, le problème est encore plus accrue puisque le lexicographe doit prendre position sur ce qui est inclus et ce qui est exclu.
En tant que linguiste et lexicographe, Carla Marello est très bien placé pour traiter ce sujet puisqu’elle maitrise à la fois le volet théorique en lexicologie et le volet pratique et pragmatique en lexicographie. Linguiste de renommée maitrisant plusieurs langues, Carla a une vision large de la linguistique et ne reste pas prisonnier d’une tradition nationale, lexicographe de renom et ancienne présidente d’EURALEX, elle a également une vision internationale et approfondie à la fois de la situation contemporaine, mais aussi de la recherche historique en lexicographie. C’est ainsi que son article décrit la situation en linguistique et en lexicographie italienne, mais passe en revue d’autres traditions afin de présenter une synthèse des connaissances actuels avec l’apport de la linguistique de corpus, et pas simplement la linguistique sur corpus (corpus-based).